Une histoire de Philippes - 1
Si la plupart de mes patients
me sont adressés par des médecins ou bien par d’autres patients, il y a
d’autres manières d’entrer en contact. Ainsi, parce que j’aime bien discuter
avec les gens et que certains connaissent mon boulot, il n’est pas rare qu’on
me questionne à propos d’untel ou d’un autre afin de savoir ce que j’en pense.
C’est parfois un peu compliqué de pouvoir répondre précisément quand on ne
connaît pas la personne aussi ai-je l’habitude de dire que comme un maquignon,
tant que je n’ai pas vu la bête sur pieds, il m’est difficile de me prononcer.
C’est ainsi que la première
fois que l’on m’avait parlé de Philippe l’alcoolique, c’est Philippe qui l’avait
fait, le patron d’un estaminet dans lequel j’avais mes habitudes après être
allé déposer mes chèques à la banque. Comme, même lorsque je ne travaille pas,
j’ai tout de même l’œil de l’expert, j’avais bien remarqué ce drôle de type qui
passait son temps à s’aviner, jusqu’à en devenir pathétique et pitoyable, ce pauvre
mec que plus personne ne respectait.
Philippe le cafetier qui
n’était pas un mauvais bougre m’avait demandé ce que je pensais du bonhomme et
aurait bien voulu que je l’aide à s’en sortir. Alors, avant de me décider à
nouer un possible contact, j’avais un peu observé le bonhomme, me contentant
d’enregistrer le maximum d’informations qui m’auraient permis de l’aider, même
si mon aide n’avait consisté qu’à donner des informations de base et une marche
à suivre pour se sortir de l’alcoolisme.
Car comme je l’avais expliqué
à Philippe le cafetier, je ne me voyais pas aborder cet inconnu, Philippe
l’alcoolique, pour lui dire « coucou, je suis psy et le plus marrant c’est
qu’on a le même prénom et qu’en plus je me fais fort de vous sauver de vous
même ». C’est sans doute très frustrant mais sans demande expresse de sa
part, je n’avais aucune légitimité à lui apporter une aide. J’aurais été dans
le rôle de sauveteur et c’est sans doute le pire qui soit. Quand on s‘installe
dans ce rôle, il n’y a que de la frustration à engranger dans la mesure où l’on
veut plus que la personne que l’on est sensé aider.
Déjà à cette époque, on le
sentait proche de la clochardisation, en voie irrémédiable de devenir une de
ces épaves que l’on voit dans tous les bistros jusqu’à ce qu’à bout, à force de
scandales, le patron ne les jette à la porte non sans leur avoir pris le
maximum d’argent en leur vendant des demis. C’était d’autant plus triste que
l’on sentait au travers de la loque qu’il s’ingéniait à devenir avec
application, les restes d’une certaine splendeur. Ce n’était pas le picolo
standard, le genre de pauvre type qui s’arsouille à la mauvaise bière faute
d’autres passe-temps, par désoeuvrement, mais sans doute un type ayant eu un
passé prestigieux et qui avait décidé de se naufrager. Renseignements pris,
effectivement doté d’un doctorat de pharmacie, ce pauvre type comptait parmi
les notables de l’endroit où je vivais et inspirait malgré tout un certain
respect voire une certaine envie puisqu’il habitait un endroit que l’on m’avait
décrit comme étant un véritable hôtel
particulier.
Ce Philippe la, cet homme
semblant détruit, m’avait finalement intéressé dans la mesure où il était
bourré d’incohérences. Même totalement imbibé et à la limite du ridicule, on
sentait effectivement chez ce jeune quinquagénaire, une sorte de dignité qu’ont
toujours les fils de bonne famille quel que soit le degré d’avilissement qu’ils
aient choisi d’atteindre. Les mots ne trompent pas de même que l’intonation et l’on
sentait au travers des expressions toujours choisies et des concepts qu’il
tentait de développer qu’il tentait de faire passer malgré son état
d’imprégnation alcoolique qu’il avait certes choisi de se massacrer ainsi mais
qu’il tenait à ce que l’on sache qu’il tenterait toujours de conserver un
minimum de dignité.
A l’écouter radoter et pérorer
sur tout et n’importe quoi, j’étais effectivement persuadé qu’en dépit de son
alcoolisme acharné, qu’il subsistait chez ce pauvre type quelque chose qui ne
voulait pas mourir, comme un sursaut de dignité qui aurait voulu hurler au
public assistant à sa déchéance qui n’avait pas toujours été cette semi-épave
et qu’il était encore quelqu’un, et que c’était là-dessus que je devrais
m’appuyer si toutefois mon aide était requise. L’image que j’avais de lui,
était celle d’un gars qui se serait pris les pieds dans le tapis et aurait
dévalé les escaliers sans toutefois les descendre toutes. Il en était à l’avant
dernière marche et il me semblait qu’avec un peu d’aide, on pouvait le remettre
debout et l’aider à regrimper en haut.
Parce qu’autant vous expliquer
je me moque de la gravité des symptômes ! Quand je vois quelqu’un pour la
première fois, bien sur j’observe, je trie et j’échafaude des hypothèses et je
ne vends pas de faux espoirs. JE m’entoure de tous les moyens possibles pour
aider la personne. Mais de fait, dans le cadre strict de la psychothérapie, ce
qui m’intéresse surtout, c’est de trouver chez l’individu venu demander mon
aide, la persistance d’une part saine dans sa psyché, afin que je puisse
implanter une tête de pont. De fait, ce n’est pas la part malsaine de
l’individu que je vais m’efforcer de réduire mais bien au contraire la part
saine que je vais tenter de faire croître.
Et après l’avoir observé mais
aussi parfois écouté à quelques reprises, je pensais que même si la partie
n’était pas gagnée, il subsistait sans doute encore suffisamment de bonnes
choses ne voulant pas mourir chez cet homme pour que je me sente capable de
l’aider. Il y avait en effet chez Philipe l’alcoolique, quelque chose de
touchant, sans doute une demande d’aide et peut-être plus de simple échange et
de chaleur humaine. Sans doute que son humour minable masquait mal son
désespoir mais aussi qu’une forme de pudeur ou encore de fierté ne lui permettait
pas d’abdiquer totalement pour tendre la main et s’en remettre à une aide
extérieure.
Après l’avoir observé et songé
aux possibilités que j’avais de l’aider, j’avais dit au cafetier qu’il y avait
sans doute quelque chose à faire mais que je ne me voyais pas aller m’asseoir à
la table de ce quasi-inconnu pour lui expliquer que manifestement il avait de
gros problèmes d’alcool et que j’étais qualifié pour l’en sortir. D’une part,
il aurait été justifié qu’il m’envoie balader dans la mesure où j’intervenais
comme un sagouin de ce qui n’était après tout que sa vie privée. Enfin, ça n’a
jamais été ma manière de voir, j’ai suffisamment à faire avec ceux qui toquent
à la porte de mon cabinet pour m’abstenir de jouer les pèlerins quand je sors
en proclament la bonne parole. Je déteste lorsque dans les émissions télévisées,
j’ai à faire à des médecins qui me disent ce que je devrais faire pour mon bien
et ma santé pour ne jamais vouloir les singer. Je déteste vraiment tous les
hygiénistes de et même si je comprends les fondements de leur démarche, je
crois fermement à la subjectivité de l’individu pour admettre que dans
l’historie de certains, s’inscrira peut-être une parenthèse douloureuse. Je
pense que les meilleures leçons sont celles que l’on vient chercher et non
celles que l’on vous assène.
1 Comments:
Ah ben voilà, il fallait lire Coucou c'est moi, je suis revenu ! du 15 mars, puis suivre le lien proposé pour arriver au chapitre 1.
Et pour le chapitre 2, il faut faire quoi?
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