20 mai, 2013

Schizophrénie et sérendipité !


Je connais maintenant assez bien le frère de mon patient qui fut diagnostiqué schizophrène sans l'être. Je n'ai pas l'impression d'avoir fait grand chose, je me suis contenté de poser une question, une simple question. Je n'ai évidemment pas guéri quelqu'un d'une schizophrénie.

Quand il m'a expliqué que son petit frère était schizophrène, j'ai simplement demandé "ah bon, quel type de schizophrénie ?". Alors là, l'ainé m'a regardé avec des yeux ronds en me disant qu'il n'en savait rien et qu'il n'imaginait pas qu'il puisse exister plusieurs schizophrénies. On ne lui en avait jamais parlé et de son côté, il n'avait pas creusé ce diagnostic. 

Il s'était contenté de faire confiance aux médecins comme lorsqu'il était petit et qu'il était petit et que sa maman l'amenait chez le bon docteur qui lui diagnostiquait une vilaine bronchite et le mettait sous antibiotiques avec un arrêt maladie qui faisait qu'il restait au chaud chez lui à lire son journal de Mickey plutôt que d'aller à l'école !

Mais passons, moi c'est mon métier et comment le blâmer, peut être que j'aurais pu me faire avoir dans un domaine dans lequel je n'ai aucune expertise. Mais le plus terrible c'est qu'avant moi, trois autres professionnels lui aient déjà parlé du sujet.

Le premier, un généraliste ayant vu son frère lui avait clairement dit qu'il n'y aurait rien à faire et que c'était pour la vie. Voilà qui est encourageant ! C'est ensuite qu'un autre médecin, ami d'un de ses amis, l'ayant reçu pour en parler lui avait exposé que c'était moche mais que la vie ayant déjà ruiné l'avenir de son frère, il n'était pas nécessaire que sa vie à lui en pâtisse, qu'il devait être égoïste et penser à lui. Puis, avant moi, il avait consulté une psy qui lui avait dit à peu près la même chose dans le genre, cessez de culpabiliser, ce n'est pas votre faute si al vie de votre frère est fichue, c'est triste mais c'est ainsi, pensez à vous

J'aurais pu lui dire la même chose avec ce que je sais globalement de la schizophrénie, du moins si je n'avais jamais rien lu sur le sujet et que je me sois contenté de penser qu'être schizophrène c'est se prendre pour Napoléon 1er ou Jeanne d'Arc et avoir des hallucinations. Fort heureusement, je me tiens au courant et j'aime bien la psychopathologie. Je ne me décrirais pas en tant qu'expert mais je pense avoir un bon niveau.

Je crois que c'est du à mon angoisse fondamentale qui a rejailli sur mon activité professionnelle. J'avais peur de rater le truc, de passer à côté de quelque chose, de me planter, de passer pour un con, etc. Alors, j'ai lu, j'ai beaucoup lui, je me suis abonné à des revues et j'achète régulièrement des ouvrages de psychopathologie.

Enfin, je suis curieux, j'aime bien savoir comment les choses marchent, il y a du geek en moi. Sujet aux lubies, j'aime bien le creuser et sans en devenir un spécialiste bien entendu, cela me permet d'avoir des connaissances pointues dans des tas de trucs. Et même si la schizophrénie ne fait pas partie des pathologies que je devrais avoir à traiter, je trouve le sujet suffisamment passionnant pour me tenir au courant des recherches, fut-ce au travers d'articles de vulgarisation.

Voilà, c'est aussi simple que cela. Si j'ai pu faire sortir ce patient de la prison, dans laquelle un diagnostic erroné l'avait enfermé, c'est parce que je suis anxieux et curieux. Rien de plus ! Pas de talent particulier, pas de baguette magique.

Ce jour là, j'avais un peu expliqué à l'aîné comment on pouvait classer les schizophrénies en fonction des 3D (distance, discordance et délire). Cela l'avait intéressé et il n'avait pas reconnu son frère dans ce que je lui disais. Alors je lui avais simplement demandé si son frère était bizarre, un peu spécial, avec un petit truc difficile à décrire mais suffisamment présent pour alerter le quidam moyen qu'un truc cloche. 

La, cela avait net : non mon frère n'est pas bizarre, il est très sympa !". Ce à quoi j'avais donc répondu, que s'il n'était pas bizarre, il ne pouvait être schizophrène, qu'il pouvait être tout ce qu'il voulait sauf schizophrène. Voilà, j'avais semé le doute et ne me restait plus qu'à voir le jeune frère pour me rendre compte par moi-même qu'il avait eu un problème mais qu'il n'était pas du tout schizophrène.

Bref, dans la routine, que dis-je le ronron, qui présidait à la gestion de la pseudo-pathologie du petit frère, et dont on disait qu'elle serait incurable et empoisonnerait la vie des tous ses proches, je n'ai fait qu'être curieux, rien de plus. Il aurait suffit qu'un de mes prédécesseurs demande si il était bizarre pour que tout l’échafaudage s'écroule et que la vérité soit révélée. Curieusement, parce que A l'avait établi alors B l'a cru, et ensuite parce que B lui avait dit, C l'a cru immédiatement, et de fil en aiguille, rien n'a bougé durant quinze ans.

Ce que j'ai fait, à vrai dir epa sgrand chose, c'est simplement ce que la légende attribue à Alexander Fleming lorsqu'il découvrit la pénicilline. On explique que de retour de quelques jours de congés, et alors qu'il n'avait pas rangé sa paillasse, il découvrit un de ses bouillons de culture recouvert d'une couche de moisissure et qu'il s'amusa à l'analyser. Eut-il été plus soigneux, qu'il aurait tout jeté avant de partir. Eut-il été moins curieux, qu'à peien entré dans son laboratoire, il s'en serait voulu de sa négligence et aurait tout balancé à la poubelle. Fleming a simplement été curieux dit-on. 

On doit donc à des traits de caractère, bien plus qu'à un haut niveau de connaissances, des avancées technologiques étonnantes. Il existe un néologisme basé sur l'anglais pour qualifier ces démarches dues au hasard que l'on nomme la sérendipité.  Ce concept a été défini comme étant la « découverte de quelque chose par accident et sagacité alors que l'on est à la recherche de quelque chose d'autre ».

C'est un truc qui me plait bien et dans lequel je me reconnais. Quand j'étais plus jeune, voire avant l'adolescence, comme je ne prenais pas ce que les gens me disaient pour argent comptant, mon père se lamentait en me disant qu'il y avait du révolutionnaire en moi. Alors que moi, je ne me trouvais pas du tout révolutionnaire puisque je serais plutôt conservateur. Mais bon, j'aimais bien comprendre et parfois je trouvais qu'il y avait une faille dans ce que l'on me disait, une sorte d'incohérence que j'adorais gratter comme s'il se fut agi d'une vilaine croute. Sans le savoir, j'étais sans doute dans une démarche sérendipitive et on m'en blâmait ! Ah pauvre de moi !

Même si le terme n'est pas usuel, dans le langage courant on devrait l'utiliser dans tous les cas où l'on  fait une trouvaille inattendue par chance, par malchance, par erreur ou par maladresse et non par le suivi d'une logique (heuristique) précise. Le sociologue américain Robert King Merton a étudié ce concept de sérendipité dans le cadre de ses recherches plus générales sur l'innovation sociale et en a donné la définition suivante : processus par lequel une découverte inattendue et aberrante éveille la curiosité d'un chercheur et le conduit à un raccourci imprévu qui mène à une nouvelle hypothèse.

Bref, je n'ai pas été plus malin qu'un autre, sans doute moins savant que mes illustres confrères psychiatres hospitaliers en termes de connaissances, j'ai juste fait usage de sérendipité. J'ai accumulé des connaissances que je n'aurais pas du avoir par angoisse de me tromper et j'ai fait usage de curiosité. 

Maintenant, quand on me demande comment je me définirais, j'ai tendance à répondre que je suis vraiment un mec sérendipitif !

4 Comments:

Blogger El Gringo said...

Exemple de sérendipité peu connu: le camion.
Alors que l'immense majorité des êtres sensés considèrent qu'il sert à transporter des charges pesantes et/ou volumineuses, une approche sérendipitive tend à faire croire qu'il peut aussi servir à commettre des assassinats.
Moralité: attention à ne pas confondre sérendipité et couillonnade!

21/5/13 10:05 AM  
Blogger philippe psy said...

Ecellent :) Ceci dit je reste persuadé que Coluche a été assassiné ;)
Tes plaisanteries n'y feront rien, tu as tort Gringeot !

22/5/13 2:09 AM  
Blogger GCM said...

Après les tabulations, on a trouvé un deuxième truc qui fait sortir le catcheur hors de lui !

Gringeot, on t'a dit, Coluche est mort assassiné, point barre. Tu vas pas nous chier une machine à emballer quand même !

22/5/13 3:01 PM  
Blogger polydamashk-blog said...

Bonjour,

En début d'études de psychopatho dans une école privée, on m'a recommandé le Bergeret à ce sujet. Faut s'accrocher pour le lire, le vocabulaire psychanalytique étant difficilement lisible, alors que je ne fais que débuter. Une suggestion pour un autre bouquin en psychopatho, plus facile pour l'entrée en matière ?

En outre, comment faites-vous par rapport aux changements incessants théoriques à ce sujet ?
Merci de votre blog.

22/5/13 3:47 PM  

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