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23 septembre, 2013

Point de rupture !


Il est habituel d'entendre les gens se plaindre des forces de l'ordre. Soit qu'on leur reproche de ne pas faire suffisamment bien leur travail, soit qu'on les accuse au contraire de trop bien faire leur travail. Cependant, les griefs à l'encontre de la  Police émanaient habituellement plus de certaines catégories de la population ayant maille à partir avec elle compte tenu de leur comportement : étudiants chevelus, racailles, manifestants récurrents, etc. Bref, lorsque les coups de matraque et les gardes à vue pleuvaient sur la clientèle habituelle, les bonnes gens ne s'en souciaient pas plus que cela. Ces bonnes gens, bourgeois petits ou gros, bien établis considéraient que les forces de l'ordre remplissaient justement bien leur mission consistant à ... maintenir l'ordre.

Et puis, vint le mandat de Nicolas Sarkozy et les procédures et les "violences policières" augmentèrent en flèche. Ce n'était plus les mêmes qui étaient visés mais chacun de nous, qui au détour d'un banal contrôle de police, pouvait se retrouver menotté au radiateur d'un commissariat comme un vulgaire malfrat. Je ne saurai sans doute jamais ce qui incita notre président à donner de tels ordres. 

Sans doute que Sarko l'américain, inspiré par ce qui se passait outre-atlantique et grand admirateur de l'Amérique avec un très grand A, se dit qu'il pourrait faire la même chose chez nous et que notre bonne vieille habitude de nous engueuler avec un flic, que l'on pouvait respecter sans toutefois le craindre, n'était plus de mise dans un monde moderne procédurier. Et comme ma profession est en prise directe avec le réel, je me mis à entendre de bons bourgeois, des gens au dessus de tout soupçon, se plaindre des force de l'ordre comme s'il s'était agi de n'importe quel gauchiste. 

Quoique que le gauchiste n'ayant jamais vraiment aimé la police se soit trouvé sans doute moins violent envers elle, dans la mesure ou il n'en attendait rien de bien. En revanche, notre bon bourgeois qui après des décennies de bonne cohabitation avec un corps chargé de veiller sur lui et ses biens, s'est trouvé bien dépourvu lorsqu'il a constaté qu'il serait dorénavant traité comme un malfrat, voire pire, étant entendu que lui était solvable et beaucoup plus craintif. 

Alors que la police et la grande majorité des citoyens avaient vécu en relative bonne intelligence depuis quelques décennies, voici que Nicolas Sarkozy, aveuglé par l'Amérique et ses pratiques, transforma un maintien de l'ordre plutôt bonhomme en quelque chose qui ne nous ressemblait plus. Le gardien de la paix, et toute sa mission était contenue dans sa désignation, se mua en bras armé d'une politique sécuritaire qui pour le plus grand malheur du bourgeois s'abattait sur lui plutôt que sur d'autres. 

De l'avis général, il devenait moins risqué de cambrioler ou de tuer que de rouler un kilomètre heure au dessus de la limite autorisée au volant d'une Peugeot 307. L'ère du "ça va pour cette fois-ci mais que je ne vous y reprenne pas" asséné d'un ton ferme mais aimable avait vécu. De l'avis général, sans doute que lassé de ne rencontrer aucun succès ni dans la politique économique mise en oeuvre, et encore moins dans dans la lutte contre la délinquance ou le crime, le pouvoir en place pressé d'obtenir du succès s'était mis en tête de chasser des proies plus faciles : les automobilistes. 

C'est ainsi qu'alors que les atteintes aux biens et aux personnes bondirent en flèche tandis que chaqe mois on nous nous annonçait que le nombre de morts sur la route baissait. L'état avait enfin des résultats. Bien sur de mauvaises langues expliquèrent que les airbags, ABS, ASR et autres progrès techniques dont sont dotés nos véhicules actuels avaient plus fait pour notre sécurité que la répression et que l'on devait plus la vie aux ingénieurs qu'à l'état. D'autres encore, tentèrent de dire qu'aux prix prohibitif auquel était vendu le carburant amenait les gens à moins rouler ce qui entrainait mécaniquement une baisse du nombre de tués sur la route. 

L'état se moqua de ces explications et considéra qu'il était le seul responsable de tout cela. Et comme le bourgeois, petit ou gros, à l'inverse du gauchiste patenté et du malfrat professionnel, n'était pas habitué à faire les frais de la violence policière, il ne sut s'organiser et amendes, retrait de points et suspension de permis plurent sur lui ! Mais las, lors des grandes manifestations contre le mariage pour tous, les coups et les jets de gaz lacrimogène s'abattirent sur lui. Faisant partie de la catégorie des gens bien élevés, notre bourgeois ne s'y attendait pas. Mais si le pouvoir avait changé, celui qui tenait la tête du ministère de l'intérieur semblait être taillé dans le même bois que l'ancien président de la République et bien décidé à "casser du bourgeois".

C'est ainsi que moi, bien assis dans mon fauteuil et dont la profession consiste à écouter les plaintes des gens, je me mis à entendre des confessions inhabituelles. Les bourgeois, je parle là des CSP+, habituellement partisans du maintien de l'ordre se mirent à proférer des paroles terribles, de mots que l'on aurait cru sortir de la bouche d'un militant d'Action directe plutôt que de celle d'un diplômé d'ESC. 

Je me souviens encore par exemple de ce professionnel de l'immobilier, un type gentil, intelligent et sans problèmes, qui lassé du énième contrôle routier s'était mis à parler comme le pire des malfrats. Il me racontait dans le menu détail son aventure, la manière intolérable dont les flics lui avaient parlé, de haut, comme à une racaille, leur zèle, leur bêtise aveugle, leur goût de la répression. Il avait noté que le divorce était consommé entre lui, le brave con de contribuable toujours en train de bosser et ces putains d'élus et leur milice.

Et là, alors qu'il s'était toujours considéré comme un brave garçon, il se souvenait que, tandis qu'un flic lui parlait mal debout contre sa portière, lui avait rivé ses yeux sur le pistolet réglementaire que le fonctionnaire portait à sa ceinture et que l'espace d'un instant, il s'était pris à rêver de le lui arracher de l'étui, et de lui vider le chargeur en pleine face. Comme il me l'expliqua en souriant, l'étui n'était pas attaché et le policier beaucoup plus petit que lui, ça aurait été sinon facile du moins pas très compliqué. Et comme je lui demandais pourquoi il n'était pas passé à l'acte, il m'avait dit qu'il n'était pas un assassin et qu'en plus il avait beaucoup trop à perdre. En revanche, il avait compris qu'on ait envie de le faire et même qu'on le fasse et que sa vision du monde avait changé. Lui qui était habituellement du côté du manche, avait ressenti ce que c'était qu'être de l'autre côté. Et comme il me l'avait dit, depuis l'ère sécuritaire Sarko, il avait compris ce que pouvaient resentir ceux qui se faisaient contrôler dix fois par jour.

J'ai aussi le souvenir d'une autre patiente, une femme bien, quelqu'un qui justement était inconnue des services de police, une bonne contribuable, cadre sup' bardée de diplômes dans une quelconque entreprise. Alors qu'elle me parlait, elle m'expliqua s'être fait peur elle-même tandis qu'elle écoutait les nouvelles sur une chaine d'information. Elle venait d'apprendre qu'un policier avait été tué dans je ne sais plus quelles conditions et voici, alors qu'habituellement ses pensées auraient été faites de compassion pour la famille de la victime, elle avait juste pensé "bien fait, un connard de moins au bord de la route". Elle avait noté le changement parce que cela ne lui ressemblait pas de se réjouir de la mort d'autrui. D'une certaines manière, comme elle me l'avait dit, elle avait juste déshumanisé sa victime qui n'était plus un être humain mais juste le bras armé d'un pouvoir honni.

Récemment encore, alors que je prenais un café avec un ex-patient, il fut sidéré de voir un véhicule de la police nationale se garer dans le couloir de bus, tandis qu'un fonctionnaire en descendait pour s'acheter des cigarettes. Je l'entendis alors dire "si moi j'avais fait ça, c'était la prune assurée". Je le rassurai en lui disant que de l'autre côté de la rue, c'était plutôt les motards de la police nationale qui se garaient n'importe comment pour faire leurs emplettes chez le traiteur chinois. Et comme il me demandait comme je parvenais à rester aussi zen, je le rassurai en lui expliquant que je n'étais pas zen du tout mais que je savais que si lui et moi constations de tels dysfonctionnements, cela n'avait pas du échapper à d'autres mieux à même de les faire cesser. De fait souvenons-nous que la Securitate roumaine a participé aux émeutes de 1989 parce que ses plus hauts gradés avaient compris que maintenir un tel régime n'était plus possible.

Bref, l'usage intempestif des forces de l'ordre comme d'une milice imbécile n'est pas pour le pouvoir une tactique intelligente dans la mesure ou il tend à créer une cause commune entre des catégories de personnes qui s'opposaient alors. Ce phénomène de coalescence, fort bien expliqué par ce jeune ingénieur, tend à unir les failles de la société afin de créer une ligne de rupture. C'est sans aucun doute ce qui explique la défaite de Sarkozy alors que son challenger n'avait rien pour séduire. Détesté par la gauche, ce crétin qui se croyait plus roué qu'il ne l'était a même réussi à mettre les siens contre lui. C'est sans aucun doute ce qui se passera pour le suivant, Hollande qui sera battu en 2017 s'il osait toutefois se représenter, et ainsi de suite jusqu'à un éventuel grand soir durant lequel les élus seraient pendus avec les tripes des fonctionnaires comme l'espèrent certains !

Certains corps constitués, comme la police et la justice, doivent être au dessus de tout soupçons et maniés avec une grande délicatesse sous peine de faire éclater le système. Si on peut tolérer à la marge certains comportements parce que les gens qui les constituent restent humains, on ne peut tolérer de graves manquements répétés. La violence et la répression aveugles n'amènent que le désespoir et rien n'est pire que cela. C'est lorsque l'on a conscience que les choses ne changeront pas, que l'on n'a plus aucun pouvoir sur elles, que l'on s'enferme dans une position dépressive ou pseudo dépressive de laquelle peut surgir n'importe quoi dans la mesure où cette situation amène soit de l'autoagressivité (conduites à risques) soit de l'hétéroagressivité (violences).

De même, le sentiment d'injustice ressenti par la population est tel que le vieux slogan police partout, justice nulle part clamés auparavant par les seuls gauchistes est maintenant entonné par les droitards. Ce sentiment qu'ont de plus en plus de gens de contribuer à un système qui ne leur offre que peu de rétribution est un terreau fertile sur lequel peuvent pousser toutes les contestations. Et le pire est que cette coalescence dont je faisais état est en passe de devenir une réalité. 

Il n'y a qu'à constater que de grands blogs politiques apparemment totalement opposés comme H16 et E&R sont bien plus unis qu'ils n'auraient pu l'imaginer. Car tandis que l’un fustigera les collectivistes et les seconds les libéraux, tous s'entendent finalement pour conspuer l'amoralité totale de nos dirigeants et de leurs affidés (forces de l'ordre, presse, etc.). Viendra bientôt le moment ou militant alter mondialiste chevelu et libéral diplômé d'une ESC se donneront la main pour renverser le pouvoir. Comme il est écrit dans la bible le loup habitera avec l'agneau et le léopard gitera avec le chevreau.

Cette révolte des gens bien élevés, de ceux qui payent sans rien dire, c'est pour moi, une nouvelle forme de désespoir que j'ai à traiter. Alors que jusque là, les gens se confrontaient aux vicissitudes de la vie, chômage, amours déçues, etc., aujourd'hui, ils se trouvent face à un pouvoir qui les humilie sans cesse. Violences policières, répression judiciaire, humiliation de toutes sortes (murs des cons, élus rarement condamnés, augmentation inconsidérée des impôts, etc.), c'est un véritable climat dépressogène qui règne sur la France. Tandis qu'on pouvait s'imaginer vivre correctement en observant les règles de bonne vie en société, certains constatent que tel n'est plus le cas. Pris en tenaille entre la délinquance vraie d'un côté et un pouvoir politique cruel, mesquin et devenu fou de l'autre, le citoyen lambda souffre à un point inimaginable.

La plupart de nos concitoyens formatés par des siècles de gouvernement croient encore fermement en cette partition "oratores / bellatores / laboratores" et se trouvent fort démunis lorsqu'ils constatent ou imaginent que les bellatores deviennent juste le bras armé d'oratores (élus) corrompus et très éloignés des souffrances du peuple.

Alors certes, le temps n'est pas venu ou les gens se saisiront qui d'un fusil, qui d'une barre de fer pour monter à l'assaut des palais nationaux ou des mairies mais je suis étonné de la tension dont font état certaines personnes fonctionnant jusqu'alors parfaitement bien. Et que les élus des grands partis n'imaginent pas que l'argument selon lequel le Front National n'aurait pas de programme économique viable soit quelque chose qui touche les gens. Non, il me semble que les gens s'en moquent et que pour eux, voter FN soit aujourd'hui le seul moyen dont ils diposent pour punir les élus en palce et les faire souffrir autant qu'ils souffrent eux-mêmes.

C'est vraiment une souffrance nouvelle à laquelle il est difficile de faire face que celle qui consiste pour nombre de nos concitoyens à se dire qu'en plus des aléas de la vie, ils deviennent aussi la proie de l’arbitraire sans espoir d'une aide quelconque de la part de ceux chargés de les défendre.

Quant à moi, je fais mon travail et pour le reste, je fais mienne la devise de Lao Tseu, lequel devait être capricorne :

Si quelqu'un t'a offensé, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de la rivière et bientôt tu verras passer son cadavre.

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Billet très intéressant. Je vous lis régulièrement mais aujourd'hui, votre billet est à placer en-dessus du panier.
    A titre purement personnel, je suis nettement plus pessimiste que vous. Je pense que ce pays se dirige lentement mais sûrement vers une guerre civile (sinon, comment comprendre le durcissement récent des textes réprimant la possession d'armes). J'espère me tromper évidemment mais je constate, comme vous, que la digue fragile qui sépare l'honnête homme de la brute se fissure de plus en plus. A la raison que que vous apportez, j'ajouterai l'état de putréfaction avancé de notre système éducatif et la désintégration de la cellule familiale traditionnelle. Dans le droit fil de votre propos, je voudrai rappeler l'existence du film de Joël Schumacher "Chute libre" sorti en 1993 pour lequel j'éprouve une tendresse particulière (le film pas Joël Schumacher). Dans ce film, injustement méconnu selon moi, on assiste au "dévérouillage" en direct d'un citoyen lambda interprété par un excellent Michael Douglas (la scène dans le fast-food est d'anthologie). Je l'ai revu plusieurs fois et le trouve bien observé et assez prémonitoire.
    Pour en revenir à notre pays, il me semble que la Gendarmerie (bien qu'elle reconnaisse rencontrer de plus en plus de difficultés à exercer sa mission traditionnelle de renseignements tant la défiance devient forte même dans les campagnes) reste un peu plus solide (esprit militaire oblige?) que la Police où, malheureusement, ce sont les syndicats qui font la pluie et le beau temps (dès qu'un fait divers agite ce corps, c'est systématiquement un syndicaliste qui s'exprime dans les médias, la direction étant curieusement aux abonnés absents. Curieuse conception du management).
    Pour le moment, le couvercle de la cocotte minute tient bon mais combien de temps cela durera-t-il?

    Bonne fin de journée

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  2. Merci ! Je connais le film et effectivement, il est bien fait ! Sur le même sujet, lisez l'article de Chaton :
    http://ingenieurchamane.wordpress.com/2013/09/20/transition-endommagement-rupture-dans-un-materiau-ductile/

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